C’est une habitude que tous les maires et secrétaires connaissent : pour un petit chantier ou une dépense du quotidien, on demande « trois devis » et on choisit le plus raisonnable. Simple ? Pas tant que ça. Derrière cette pratique bien ancrée se cache un vrai débat juridique que le Conseil d’État s’apprête à trancher.
Une pratique ancrée dans le quotidien
Petits travaux, fournitures urgentes, logiciels à installer… Les communes passent chaque année des dizaines de “petits marchés”.
Pour aller vite et comparer les prix, la méthode des “trois devis” s’est imposée comme un réflexe : simple, rapide et rassurant.
Mais derrière ce bon sens apparent, le cadre juridique reste… flou.
⚖️ Aucun article du Code de la commande publique ne définit la procédure des “3 devis”.
Ce n’est ni une règle, ni une procédure officielle.
Ce que dit la loi
Le Code prévoit un régime simplifié pour les petits montants :
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jusqu’à 40 000 € HT pour les fournitures et services,
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jusqu’à 100 000 € HT pour les travaux.
Dans ces cas, l’acheteur peut conclure sans publicité ni mise en concurrence.
Il doit simplement :
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choisir une offre pertinente,
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veiller à la bonne utilisation de l’argent public,
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et éviter de traiter toujours avec le même fournisseur.
Demander plusieurs devis n’est donc pas obligatoire.
Mais le faire peut aider à prouver la transparence de la démarche.
Le risque ? Si l’acheteur structure trop sa comparaison (critères, délais, notation…), cela peut être requalifié en “MAPA” (marché à procédure adaptée), beaucoup plus encadré.
🧩 L’affaire Hoymille
En 2012, la Cour administrative d’appel de Douai a jugé qu’une simple demande de plusieurs devis pouvait constituer une véritable mise en concurrence.
La commune avait sollicité quatre fournisseurs sans préciser ses critères de choix : le juge a annulé la procédure pour non-respect des principes de transparence et d’égalité.
Une décision stricte, longtemps prise comme référence avant que la jurisprudence n’évolue.
Le casse-tête de la frontière juridique
Plusieurs décisions de justice ont tenté de trancher.
Certaines ont jugé qu’à partir du moment où plusieurs devis sont demandés, il s’agit déjà d’une mise en concurrence (CAA Douai, 2012).
D’autres, plus récentes, estiment qu’il ne faut pas confondre comparaison de devis et procédure formalisée.
🧩 L’affaire Tilly-sur-Seulles
En 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a validé la pratique :
la commune avait demandé trois devis pour des travaux de voirie de 73 000 €.
Le juge a estimé que cela ne constituait pas une procédure adaptée, mais simplement une vérification du bon usage des fonds publics.
Une décision saluée par les uns, critiquée par les autres.
“Une vision dépassée de la commande publique”, selon le juriste Jérôme Michon, qui regrette que les principes d’égalité et de transparence soient ainsi minimisés.
Focus : ce qu’il faut retenir
✅ Ce qui est autorisé
Solliciter plusieurs devis pour comparer les prix.
Choisir l’offre la plus pertinente sans publicité formelle.
Conserver les échanges et les devis pour justifier la décision.
🚫 Ce qui est risqué
Rédiger un document de consultation trop précis (critères, délais, notation…).
Mentionner que “le mieux-disant sera retenu” : cela évoque une mise en concurrence.
Toujours consulter les mêmes entreprises.